Rapport « Experts, acteurs, ensemble… pour une société qui change »
En novembre 2021, le conseiller d’Etat Denis Piveteau était missionné par le Premier Ministre pour conduire une réflexion sur l’attractivité des métiers du travail social. Voici son rapport.
S’il est une évolution structurelle du regard porté sur le travail social, au cours des dix ou vingt dernières années, c’est bien celle qui veut que la personne « accompagnée » soit pleinement actrice de son accompagnement, dans une logique de reconnaissance de sa citoyenneté et des droits qui s’y attachent.
On se souvient du rapport de 2015 du Conseil supérieur du travail social intitulé « Refonder le rapport aux personnes », dont le sous-titre : « Ne nous appelez plus usagers » avait marqué. La définition du travail social par le décret du 6 mai 2017, s’inscrit dans cette même ligne : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. (…) Il participe au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement ».
Certaines analyses voient dans cette transformation un nouveau paradigme de l’action sociale, qu’il est d’usage de qualifier d’« inclusif ». D’autres font remarquer qu’il y a, par delà l’effloraison de termes nouveaux (« pouvoir
d’agir », « autodétermination », « transformation inclusive »), une redécouverte d’anciens principes d’émancipation ou de réhabilitation,
qui faisaient de la participation sociale le point de départ ou le point d’appui, et pas seulement l’objectif à atteindre.
Dès sa célèbre circulaire du 28 mai 1982, Nicole Questiaux indiquait d’ailleurs que « les usagers (…) doivent devenir de véritables acteurs du changement de leur vie quotidienne. Le travail social (…) se mettra au service de leurs projets individuels ou collectifs ».
Il est sûr, en tous cas, que sous ses deux versants : celui de « l’autodétermination » ou du « pouvoir d’agir » reconnus à tous, qui
donne à la personne accompagnée une place qu’on peut qualifier de « décisionnaire » et celui de « l’inclusion » ou de la « transformation inclusive », qui est la manière dont la société veut répondre à ces aspirations, le nouveau paradigme fait irruption dans le « tête à tête » traditionnel de
la relation d’accompagnement et déplace substantiellement l’exercice professionnel.
On ne peut donc pas penser les différents volets d’une « revalorisation des métiers » (salaires, conditions de travail, déroulement de carrière, qualité de vie au travail …) sans se demander comment les inscrire dans ce nouveau contexte.
Mais en même temps, il apparaît que ce nouveau regard valorisant porté sur les personnes accompagnées – autant par la société que par elles-mêmes et par leurs proches – peut transformer aussi, dans un sens tout aussi valorisant, le regard porté sur les métiers éducatifs et sociaux.
On touche là le seul fondement vraiment solide, la seule perspective vraiment durable pour toute démarche de « réenchantement » des métiers du travail social : faire changer le regard que la société porte sur eux, en même temps que change le regard que la société porte sur les personnes qu’ils accompagnent.
Le combat pour la reconnaissance des personnes « accompagnées » au titre de leur « pouvoir d’agir » est, au fond, le même que celui de la reconnaissance sociale et statutaire des professionnels qui les accompagnent.
Les conditions de succès en sont identiques.